lundi 5 novembre 2012

L'océan

Mes mains sentent le falafel, elles poissent, elles me dégoûtent. Mes aisselles sentent la sueur. Mes cheveux gras pèsent sur mon crâne. Ma peau me démange de l’intérieur. Mon dos ne tient pas en place. Mes fesses n’en peuvent plus d’être assises. J’aimerais être ailleurs, mais nulle part en particulier. Je voudrais fuir ce corps, m’évader par un trou de nez et partir en fumée dans l’air, me mêler aux gouttes de pluie, redescendre violemment sur le bitume, exploser en 10 000 gouttelettes, ruisseler dans un caniveau, à travers une bouche d’égoût, contourner un rat en décomposition et lécher ses flancs rêches et froids aux poils ratatinés, poursuivre dans les fissures d’une nappe phréatique, et finir ma course dans un océan, au milieu de l’immensité, diluée, éternelle, immanente.

Je lis et je relis ce que je suis censée apprendre aux étudiants. Je n’y comprends rien et pourtant c’est moi qui l’ait écrit. Mon odeur et le contact du gras sur mes mains et ma tête m’empêchent de me concentrer, sans compter l’insoutenable chaleur moite et pauvre en oxygène de cette bibliothèque. Je n’arrive pas à trouver le repos. Le contact de mes cuisses sur la chaise m’horripile, alors je me sens obligée de serrer les fesses régulièrement afin de minimiser ce contact. Les larmes me montent aux yeux aussi facilement que j’aimerais m’extraire de ce corps et de cet esprit gênants et n’être qu’une molécule insignifiante. Ce que je suis, bien sûr, une molécule insignifiante de la fractale de l’univers. Mais j’aimerais en être l’élément le plus petit, le plus unique, la forme primitive.

Je traverse la bibliothèque comme un zombie; les jambes des filles, les voix, les odeurs, les paroles, les rires, tout m'agresse. Je dévie de mon chemin pour les éviter. Je n'ose pas les regarder dans les yeux, j'ai envie de pleurer de dégoût, sur moi-même (bien sûr car je ne pense qu'à moi-même). J'ai l'impression que mon mal-être physique suinte par tous les pores de ma peau, même si je sais que j'ai l'air normale. Et que si tous ces gens ont l'air normal, eux aussi suitent probablement leur propre mal-être. Ou pas? J'arrive vers Romain, je n'en peux plus, je suis obligée de lui chuchoter, de lui demander si lui aussi rêve de prendre un couteau et de s'ouvrir la peau en deux, de haut en bas, de laisser ses organes se répandre sur le sol et de tout brûler. Il rigole en disant "non".

Fumer m’apaiserait. Mais je ne veux pas fumer. Je ne veux rien. Rien, rien désespérément rien. Ou alors, si, valdinguer toutes mes affaires par la fenêtre, et courir pieds nus sous la pluie, avec des personnes qui partageraient la même chose que moi. Je n’en peux plus des gens, de ne pas pouvoir être eux, de ne pas pouvoir contrôler leur pensée, de ne pas pouvoir m’unir spirituellement. « Je n’arrive pas à accepter l’altérité ». J’aimerais être l’Etre unique. J’aimerais que tous coulent en moi, et je pourrais ainsi me liquéfier et me répandre tranquillement. J’aimerais juste être, mais je n’y arrive pas. J’aimerais être une feuille, et tomber. Mourir est impossible, même si vivre m’emmerde. Alors j’attends patiemment la fin du monde, que j’espère ardemment pour dans quelques semaines. On mourrait tous ensemble et on vivrait enfin une expérience de communion universelle, tous les égos et tous les cerveaux seraient dissous.   Le seul intérêt que je vois à ma vie est la drogue, et la douce sensation de me dissoudre enfin qu’elle procure. Avec elle, je ne vis plus, mais je suis tout simplement, je suis l’air, le son, la terre. Je peux m’allonger dans la terre et être la terre. Je peux me laisser porter par les vibrations sans avoir à me préoccuper de vivre. Comme disait ma grande amie et philosophe germanophone Marit, la musique te donne un rythme sur lequel vivre, et alors tu n’as plus qu’à te laisser porter. Entre la méditation et la drogue, mon choix est vite fait. Je veux tout, tout de suite. Je suis une consommatrice, une princesse, et un vieux torchon insignifiant à la fois.



vendredi 19 octobre 2012

Pot pourri 2

Quand j’étais petite, je voulais sauver le monde. Je voulais sauver les enfants qui n’avaient pas eu ma chance. Je me sentais coupable. Je voulais prendre leur place dans les bordels de Patpong, je voulais qu’on brûle des cigarettes sur ma peau, qu’on m’enferme dans un placard sans rien à manger, et alors j’aurais eu le droit de me plaindre, et j’aurais pu tirer du plaisir à ma situation de martyr. J’aurais été un enfant lâche, un enfant qui se fait gazer sans rien dire, la petite main tremblotante dans celle de sa mère, un enfant qui n’ose pas s’échapper, qui mange, qui souffre et qui meurt quand on lui dit de le faire. J’aurais été un enfant obéissant. Quand j’étais petite, j’étais heureuse quand j’étais malheureuse, quand je poussais à bout mes parents afin qu’ils lèvent la main sur moi, quand je racontais que j’étais orpheline, quand je m’inventais des histoires d’inceste qui n’étaient pas les miennes. J’étais déjà un enfant pervers. Quand j’aurais été grande, j’aurais été médecin dans l’humanitaire, j’aurais ouvert un orphelinat pour les petites livrées à la prostitution, j’aurais été assistante sociale. Je lisais les témoignages d’enfants battus avec une avidité louche, voire malsaine. Je me détestais d’être l’enfant unique et gâtée de parents aimants et attentionnés. Je voulais souffrir, sans savoir vraiment savoir ce que ça voulait dire, en prenant la souffrance des autres. Je voulais être du côté des faibles et des opprimés forts dans le cœur, tout le contraire de moi en somme. Je voulais être des leurs.

Pot-pourri

Puisque l'humeur est à la ponte, puisqu'il est vendredi soir et que demain j'ai pas école, puisque j'ai bien mieux à faire, puisque j'ai un problème de lobe frontal et que je veux faire comme vous, j'ai décidé que c'était mon tour de pondre un oeuf. Pas un oeuf de poule, un bel oeuf beige, propre et brillant. Un oeuf d'oiseau merdique, un oeuf de pigeon ? avec la plume qui colle encore à cause du caca collé dessus, un oeuf que personne ne voit et qu'un renard va bouffer sans y penser. Certes, c'est étrange pour un chat, pondre un oeuf, me direz-vous. Mais la nature est pleine de surprise.

Je ne me sens pas proche de vous. Je ne me sens ni incomprise ni supérieure ni entourée de teubés incompétents. C'est plutôt exactement l'inverse. Je ne comprends pas l'autre. Je crois l'empather, alors que je m'empâte dans des mdd grossiers qui, comme leur nom l'indique, ont pour but de me protéger de la vérité: mon auto-aveuglement de compassion n'est qu'un vernis ridicule sous le monstre palpitant de l'égocentrime extrême qui patiente en-dessous, et qui est malheureusement notre lot à tous. Je ne suis pas supérieure. Ma vie n'est qu'une vaste supercherie. Vous réussissez “par erreur”, en brillant tdahiens qui préfèrent sauter de toit en toit, racler les égoûts ou traîner dans les bars à pute le whisky dans une main et le désenchantement dans l'autre, au lieu de travailler. Et pendant ce temps, pendant que vous vous roulez dans la fange de l'ennui avec désespoir et mal de vivre, je note mes petites fiches, je fais mes exercices, je me lève à 8h et je prends ma douche, je fais ce qu'on me demande, petite fourmi servile, vaillant petit soldat du bonheur de la tâche accomplie. Je ne bois pas car ça fait grossir. Je ne fume pas car ça donne des rides. Et qui voudrait encore de moi, alors? Je fais des études brillantes et je me demande souvent comment ça serait si j'avais juste fait des études bien. Je suis capable de reproduire de la merde joliment enrobée sur des pages et des pages et ça passe comme une lettre à la poste. Je suis capable de débiter des âneries entrecoupée de blagues sur le petit Gregory à des étudiants qui mettent leur vie entre mes mains, scrutée par des regards endormis, ou, au mieux, incrédules. Je suis capable de dire merci quand on me félicite pour la énième fois pour mon sérieux, qui n'a pourtant rien du talent. A chaque fois j'ai envie de hurler “mais au secours, ça ne peut pas être ça, connard d'enculé, toi aussi tu fais semblant d'y croire quand tu me dis que c'est bien, car sinon ça serait avouer que toi aussi tu es bâti sur un château de cartes de mensonges et d'auto-illusions, aie au moins les couilles de me le dire au lieu de me mettre la main sur l'épaule”. Mais je ne partirai pas. Car on m'aime quand on croit que je travaille bien, et c'est le principal. Je ne suis pas entourée de teubés. Je suis une sorte d'ovni provocateur frustré incandescent mais aussi froid et coupant comme la glace. J'ai mis mes oeillères et je fonce tout droit, tête baissée, et je ne regarde pas qui suit, et de toute façon ça ne m'intéresse pas. Je fais semblant de faire ce qu'on me dit, et qui me soupçonnerait, moi, la gentille sérieuse sur qui on peut compter? J'aurais été un bon nazi. J'aurais surveillé les 110 000km de voies ferrées françaises jour et nuit et houspillé les 482 aiguilleurs pour qu'ils soient à leur poste à cinq heures du matin. J'aurais marché droit et loin, du moment qu'on m'aurait donné des médailles et une tape sur l'épaule. Ouais ok, nazi ça veut pas dire ça, mais au secours, osef. Mais j'aurais aussi été un mauvais nazi (comment savoir lequel des deux l'emporte?) car je n'y aurais pas cru dur comme fer. J'aurais été consciente de faire le boulot pour la médaille, j'aurais été sincèrement désolée pour tous ces enfants juifs qui mourraientt d'une asphyxie lente et douloureuse. Mais allez, après tout, comment savoir? Ne jugeons pas trop vite.
Ma vie ne part pas en couilles. J'ai un boulot, un appart, I walk the line. Je ne suis pas rock n'roll. Je fais tout à moitié. Je fume à moitié, je baise à moitié, je ne suis même qu'à moitié anorexique, à moitié pseudo-lesbienne, qu'à moitié drôle et qu'à moitié déprimée, qu' à moitié jolie. Je conduis à 138 sur l'autoroute. Même pas pour le genre. Mais parce que l'incongruité, la vanité et le néant de la prise de risque m'ennuient avant même d'y arriver. Ou alors c'est ce que j'essaie de me faire croire. Je ne suis accro à rien, ni à l'adrénaline, qui rend ses dépendants palpitants et chevaleresques de l'impossible, ni aux endorphines, qui font courir tous ces suceurs de joggeurs du dimanche, ni à la sérotonine des meufs pseudo-normales, (mais qui l'est?) qui bouffent du chocolat en cachette à trois heures du mat. Je peux me lever en plein après-midi, me planter devant un collègue-pseudo pote, et lui dire “s'il te plaît, tue-moi”, en faisant semblant au bout d'un dizième de secondes que c'est une blague, tout en gardant au fond de moi que c'est pas une blague, mais tout en sachant que si, c'en est une, car franchement qui a envie de souffrir et de crever sans savoir ce qu'il y a derrière?

Au secours, vous me dégoûtez tous avec votre mal-être poseur empathe incertain malheureux tristitude. Alors qu'on sait bien tous qu'au fond on est que des enculés égoïstes programmés pour survivre, et donc, logico-bio-médicalment, pour rabaisser et mépriser ceux qui nous sont inutiles. On est tous des connards. Mais parfois, j'ai juste du mal à l'assumer car “au secours je ne veux pas être encore eux”, mais c'est parce que j'ai pas encore voulu comprendre que je n'avais pas vraiment le choix. Même l'enfant africain qui crève de faim avec ses jouet fabriqués en bouchon de jerrican à essence balancés par les fenêtres des 4x4 rutilants des seigneurs du pétrole après qu'ils aient écrasé sa petite soeur, même lui c'est un connard. Enfin, je crois.

D'habitude je me dis que j'ai pas le droit de juger car “je n'ai pas souffert”, mes parents ne m'ont pas battue avec des fils électriques hors d'âge pour ensuite me vendre à un tenancier de bordel crasseux en faisant semblant de croire que c'était un marchand de tapis. Ca, c'est dans mon autre vie. Mais là j'ai envie de dire merde, de vous cracher à la gueule avec votre malheur, car au final on baigne tous dedans, bordel ou pas.

Allez, ce post vain n'appelle évidemment aucun commentaire, j'avais juste envie d'avoir l'impression de faire quelque chose “qui paraît sortir de l'ordinaire”, alors qu'en fait, bien sûr, il n'en sort pas. Tout a été dit, fait, pensé. Même Eratosthène en -200 c'était un bg trop balèze. Sans compter tous ceux que l'Histoire, dans son rouleau compresseur factice et injuste, ne retiendra pas.

Enfin, ne l'avais-je prédit à Brutus? “Dans deux semaines, je toucherai violemment le bas du sinus, car j'aurai terminé mes deadlines inutiles et vaines mais qui avaient le mérite de m'occuper”. Voilà, j'y suis, je ponds une bouse inutile, j'ai l'impression d'avoir fait quelque chose. Rien de nouveau sous le soleil. Que la roue continue de tourner, de toute façon ce n'est pas moi qui vais y changer quelque chose.

Amen mes frères et mes soeurs.

Cot cot codec

PS: Ah si, j'ai fait quelque chose d'utile cet été. J'ai porté haut les couleurs de la poulitude en amenant ma brave équipe (de boulets) à la victoire au son “d'à-tchic à-tchic -à tchic? Cot cot cot!”
Intrinsèquement, c'est ce dont je suis la plus fière, disons ces....huit derniers mois.

jeudi 19 juillet 2012

Anne-Claire

Je décide d’aller passer quelques jours à Prague, histoire de visiter. Je n’ai vu du pays jusqu’à présent que ses joyaux de province. J’ai réussi à ne voir de Prague que l’aéroport et le métro. Ariane m’a donné le numéro de sa copine Anne-Claire. Je décide de l’appeler, « pour voir », « pour tâter le terrain ». D’accord pour m’héberger. Anne-Claire, à la fois coiffeuse, artiste et étudiante en lettres-esthétique de la vague, vit toujours dans un flou bordélique permanent qui n’est pas sans charme. Je me retrouve à attendre dans un café pouilleux de Letna, avec ses copines expatriées, qu’elle rende sa chambre présentable. « Anne-Claire est très pudique avec ses affaires personnelles », « c’est normal elle est Scorpion », pensai-je. Anne-Claire est en train de couper les cheveux d’une amie, nous allons dormir dans le même lit. Elle demande, catastrophée, si quelqu’un n’aurait pas un peigne ou une brosse, c’est plus pratique pour couper des cheveux effectivement. Et là je sors le fameux peigne vert de mon sac. Celui que j’ai perdu depuis. Nos regards se croisent. « C’est parfait, c’est exactement ça ! » dit-elle sans vraiment oser y croire. Une amitié est née grâce à un peigne, grâce à un coup de téléphone, grâce à la lenteur du mois d'août en Bohême du sud. Et le lendemain nous courrons après un bus improbable dans le dédale des grands immeubles gris sur les hauteurs de Prague. « Dépêche-toi ! » elle me crie sans se retourner, « Qu’est-ce qu’il se passe ? » je ne cromprends rien. Et on a couru. Et là české Budějovice prend tout son sens.




Ceske Budejovice 3

Notre coordinatrice a du mal à me blairer, même si elle se force car «c’est quelqu’un de bien » et « elle se doit d’aimer tous les volontaires, après tout s’ils là, c’est qu’ils ont un bon fond » (mes propres conjectures). Elle nous répartit en petits groupes pour chaque tâche ; problème, j’ai envie de tout essayer. Je tonds la moitié de la pelouse, vais aider un peu machine au ciment, puis un peu bidule au crépi, je vaque, je reviens tondre un quart de pelouse. Je vois bien qu’elle bout et me lance des regards noirs, et je me demande juste quand elle va craquer. J’ai rarement ressenti véritablement l’hostilité de quelqu’un vis-à-vis de moi, au contraire d’une indifférence banale. Ca fait tout drôle de voir que l’on peut provoquer un sentiment aussi fort chez quelqu’un, c’est perturbant, touchant et presque beau. Enfin, c’est ce que j’aurais pensé si elle ne m’avait tellement insupportée, à non seulement être laide, mais en plus mauvaise et pas très très fut (ce qui fait de moi une langue de pute tout à fait assumée. A-t-on le droit d'insulter une scoute qui aide les autistes? J'ai presque l'impression de faire une blague nazie en ne l'aimant pas). Quand elle explose enfin (« il faut rester à la tâche assignée !!!! ») je suis presque soulagée et je lui obéis mollement, entre pitié et paresse pour discuter.
Enfin arrive la fin du séjour, la fin de l’ennui, du crépi et du français. A quoi aura servi ce séjour ? A rien, j’en suis intimement persuadée, en tout cas rien d’utile pour cette communauté de branleurs aussi humains que la moyenne, ni gentils, ni méchants, qui rêvent de se créer une vie meilleure ayant un but. Parfois, on ne comprend que plus tard.




Ceske Budejovice 2

Notre boulot consiste à aider « le chef », un polonais dragueur toujours torse nu, marié à l’une des femmes de la communauté mais couchant officiellement avec une autre. Bonjour l’ambiance. Nous enlevons du crépi des murs, creusons des trous, tondons la pelouse, cimentons un sol. Quelques jours plus tard, une toute jeune polonaise arrive, elle est visiblement anorexique et a un peu de moustache. Elle est venue de Varsovie pour sculpter une statue de Bouddha en terre glaise, aidée par « le chef ». Chaque matin, elle arrose la statue pour la rendre malléable. Jour après jour, on voit le Bouddha assis prendre forme, pendant que nous grattons inlassablement le crépi. Je suis habillée un sac avec un tee-shirt vert bouteille d'une marque de bière emprunté parmi les plus moches t-shirts d'André, et je gratte du crépi pour des pseudos-bouddhistes infidèles qui mangent du saucisson mais ne tuent pas les moustiques. Je me demande vraiment ce que je fous là, et ce que la polonaise fout là à sculpter Bouddha dans un pays étranger. Elle parle un peu français et me prend en affection.
Parfois, l’après-midi, nous avons le droit d’aller nous baigner au lac voisin, typiquement tchèque, avec des petites cabanes en bois tout autour qui rejettent directement leurs déchets dans le lac, des pêcheurs, des sentiers douteux avec des digitales et des mouches, une chaleur poisseuse qui colle à la peau et se mêle aux effluves des barbecues, l’atmosphère étouffante d’un pays qui ne connaît pas la mer et meurt d’ennui dans la chaleur du mois d’août. La même atmosphère qu’en Hongrie, les lacs de carrière, les champs de blés, bordés de plants de marijuana sauvages et paraît-il infertiles, qu’en Moravie avec les piscines délabrés à l’eau verdâtre et aux festivales de tuning. La même atmosphère du temps qui s’est arrêté, figé dans la chaleur et la nostalgie, et qu’on ne peut faire avancer qu’à grandes gorgées de bière. L’atmosphère du fromage pané, des barres chocolatées Tátránky, du cochon qui grille, des enfants en short et des hommes en sandales, des Lada pétaradantes diffusant de la techno bon marché à plein volume, des grandes herbes qui sont à peine agitées par la brise de la nuit tombante.


Ceske Budejovice 1

Aller de Brno a české Budějovice n’est pas une mince affaire, traverser le pays par un axe qui n’existe pas. Je viens de passer six semaines à apprendre le tchèque à Brno, en plein été, dans cette ville de province endormie, à imaginer comment je vais repeindre les murs de la chambre à Schodová, à regarder André finir son mémoire de licence, à apprendre des déclinaisons par cœur et à manger des sandwichs Krokodýl. J’ai envie d’aventure. Alors je me suis inscrite à un camp de volontaires pour retaper une ferme de bouddhistes dans la campagne de Bohême du sud. Je commence par mettre en pratique mes notions de grammaire. české Budějovice c’est du pluriel (« les ? tchèques »). On ne dit donc pas « Je vais à české Budějovice », mais « Je vais à českých Budějovic » (soit [tchèssekirrr (jota espagnol) boudiéllovitz]), et rien que ça, c’est un petit voyage.  J’aurais pu choisir les ruines de château en Slovaquie, mais j’ai décidé que c’était trop loin. Et voilà comment je me retrouve à la gare routière au petit matin, derrière une file immense de gens qui attendent avec des sacs tatis remplis de choses non identifiées. Lorsque je réalise qu’ils attendent tous pour le même bus, et surtout quand je vois la gueule du bus, je manque de défaillir. André n’a pas l’air étonné, il me pousse gentiment dedans et vire une vieille pour que je puisse m’asseoir (enfin, dans l’idée). Le bus doit bien avoir 30 ans, les compartiments à bagages au-dessus de nos têtes sont des filets. Il y a 50 personnes assises et à peu près le double entassé debout, il fait 35 degrés, et je ne sais pas où l’on va, mais on y va. Est-ce vraiment l’Union Européenne ? L’espace Schenghen ? Ca me rappelle la Roumanie, mais au moins la Roumanie assume son côté arriéré. La Tchéquie, elle, nous fait croire au train à grande vitesse et aux autoroutes flambant neuves, alors que nous nous retrouvons tout de même en 2009 dans un combi Volkswagen agrandi cahotant sur les routes de campagne , liaison la plus rapide entre deux métropoles régionales. Est-ce bien sérieux, tout cela ? La plupart des gens descendent dans un bled non-identifié (je ne peux rien voir et c’est terriblement frustrant de ne pas savoir pourquoi ils descendent ici  et pas ailleurs),  et l’autre moitié à Jihlava. 250km et quatre heures plus tard, me voilà débarquée à destination, bien décidée à pratiquer le tchèque de façon assidue avec les autres volontaires. Sauf qu’une fois de plus j’ai omis de réfléchir: ce sont des volontaires par définition internationaux. Et manque de pot, ce sont quatre filles, dont trois francophones, et une sympathique coréenne qui passera son temps à sourire et à ne rien comprendre. Notre coordinatrice est tchèque, mais bien sûr refuse de parler tchèque avec moi, car « ce ne serait pas juste que les autres ne comprennent pas ». Elle a une tête à avoir fait du scoutisme et du bénévolat auprès d’enfants autistes. Je décide de lui accorder une seconde chance. Nous voilà partis une fois de plus en bus, vers un trou de cul de la campagne tchesquéboudiéllovitzienne. Il y a deux bus par jour, l’un qui va en ville, l’autre qui en revient. Impossible de fuir, pense-je immédiatement. Le piège se referme. Faire du stop ? Je jette un coup d’œil à mes camarades et décide d’abandonner cette piste. La ferme est déjà assez bien rénovée, et habitée par une communautée de néo-hippies adorant un gourou d’une branche dissidente du bouddhisme classique : Lama Ole, un danois marié à une barbie, qui ont orientalisé les principes du bouddhisme pour le vendre aux occidentaux. Il y a une photo de Lama Ole sur la porte du frigo, il pose sur une Harley, casque à la main, cheveux blonds en brosse, sourire dentu. Je déglutis. Nous dormirons dans une pièce non meublée, à côté de la salle de prières. Infestée de moustiques, je me badigeonne chaque soir de produit qui pue, ça fait râler tout le monde, mais je n’en ai rien à foutre. Le « chef » m’interdit de tuer les moustiques car ils pourraient être la réincarnation de ma grand-mère. Il est sérieux. Je l’emmerde et sors prendre l’air. Devant notre porte, un chat est en train de dévorer une souris. Trois crics et un croc, il ne reste rien. Je me prends d’affection pour lui.

dimanche 15 juillet 2012


Rhiannon a décidé de m’emmener sur la Yorke Peninsula. C’est pas loin, it’s an easy drive. Bon, trois heures de route, mais au moins il fait beau. Les routes sont en terre, rouge, les 4x4 sont boueux. Nous cherchons Marion Bay, j’indique le panneau, mais elles insistent pour sortir le gps, profitons-en car il y a du réseau dans la charmante bourgade de Minlaton. « Il faut tourner à droite ! » « Ah bon tu es sûre ? » Bon, allons-y. Quelques kilomètres plus loin, Emma insiste « Tu vois, c’est bien la route de Port Vincent ». Silence. « Oh well, let’s go to Moonta, Marion Bay was too far anyway ». Et nous sommes allées à Moonta. Et nous avons mangé un fish and chips. Et nous nous sommes battues avec les mouettes. J’ai l’impression d’avoir vécu ça mille fois. Si je suis blasée jusqu’en Australie, à quoi ça sert de faire tout ce trajet ? Faut-il aller plus loin ? Dans un pays pauvre ? Ca sera la prochaine étape, je ne suis pas encore prête.  J’ai insisté pour le fish n chips, à croire que je m’accroche désespérément à ce que je connais. Je n’ai aucun envie de visiter l’Australie, à mon grand désarroi. Aucune envie d’aller nulle part. A quoi bon y aller seule ? Plus le temps passe, plus se confirme l’impression que nous sommes irrémédiablement seuls, évidemment. C’est notre lot.  Merde, quoi, pourquoi est-ce que ça ne m’a pas gêné pendant 25 ans ? Au moins, nous sommes dans cette voiture, et c’est déjà ça que nous avons en commun. Le paysage défile, vert et rouge, c’est l’hiver. Rhiannon me fait signe que j’ai le droit de faire la sieste. Je m’endors instantanément. Et quand je me réveille, le paysage n’a pas bougé, la même ligne droite, toujours, les marais et les buissons d’eucalyptus.

« J’aime bien être avec Céline, c’est facile. Elle m’apprend pleins de trucs. Là c’est un champ de betteraves, là c’est un champ d’autre chose, tu vois. » Jérémy est déprimé, comme on l’est tous à un moment ou un autre de notre vie, quand la vacuité et l’inutilité de notre existence nous aveugle, et que l’on n’a pas les moyens, à ce moment-là, de voir au-delà. A quel moment a-t-on enfin le droit d’être heureux ? Pleinement, sans arrière-pensée relativiste et analytique ? Les maisons en briques défilent, au volant de la Volvo. Un paysage gris, morne et triste, touchant et fidèle à nos espérances. Confortablement installés, Mimosa dans le juke-box, un McDo sur les genoux. Notre vie n’a jamais été aussi rock n roll. Je suis bien, et ça ne sert à rien de parler. Souvent, dès que l’on parle, on se rend compte que ce que l’on tenait pour évident ne l’est pas, que l’harmonie n’existe pas. De tous les instants paisibles de ma vie, combien de mots ont-ils été prononcés ? Marcher dans la campagne anglaise avec Michelle, arpenter les rues de Berlin la nuit avec Marit, regarder le ciel avec Nina, tous ces moments où l’on croise le regard de l’autre, et où l’on comprend qu’il vaut mieux ne rien dire, où sinon l’évidence de notre altérité, de notre erreur de jugement, nous saute à la figure. A quoi bon vouloir éclaircir ce qui nous échappe ? Nous avons chacun notre propre langage, nos propres références, que l’on croit comprises de tous mais qui ne le sont de personne. C’est évident et donc plus facile quand on ne parle pas la même langue, mais souvent oublié quand on est censée parler la même. Le pouvoir de fermer sa gueule n’est pas toujours évalué à sa juste valeur.

lundi 9 juillet 2012

Rundle Mall


Mais qu’est-ce que je fous en Australie ? C’est évidemment ce que je me demande dès que je commence ma valise dans la petite chambre parisienne. Qu’est-ce qui me prend de vouloir quitter mon bel été, mes petites habitudes confortables, pour un mois de travail, de froid et de solitude ? Mais se poser cette question, c’est se demander : mais qu’est-ce que je fous en thèse ? A vouloir réfléchir trois longues années sur un sujet qui ne passionne personne. Ou vraiment ? Ce n’est pas possible, ils font semblant ? J’ai dû mal à y croire. Comme cette vigneronne interviewée ce matin qui avait l’air si passionnée, si inspirée par son vin, le fait d’habiter à McLaren Vale et à quel point tout cela est merveilleux. Fait-elle semblant ? Arriverai-je un jour à atteindre ce degré d’enthousiasme pur, premier degré, pour quelque chose, la sensation d’avoir accompli le but de toute une vie ? Et les deux étudiantes qui m’aident, gratuitement, génuinement, pour rien, pourquoi font-elles ça ? Sont-elles sincères dans leur how fantastic ? Dois-je y croire ? Suis-je incapable de percevoir l’hypocrisie des gens, telle une sorte d’autiste bien intégrée à la société ?
Heureusement, Adelaide et ses journées ternes et froides sont animées par des excursions quasi-quotidiennes à Rundle Mall. Ce n’est pas un centre commercial au sens propre, mais une rue piétonne avec une concentration incroyable de magasins en tous genres, de bonimenteurs, magiciens, petit enfants roux qui jouent de la flûte pour gagner de l’argent (mignon ? triste ? heureux car signe d’une société qui s’intéresse à la musique/met en avant le talent/encourage les enfants à se prendre en main pour gagner de l’argent de poche et ne pas être des assistés comme ces larves d’européens ? je ne saurais dire), filles en mini-short alors que c’est l’hiver, putain, c’est l’hiver, elles portent un bonnet, une écharpe, des gants et un mini-short. Non décidément, je ne comprends rien à la vie. C’est une rue extrêmement bruyante, avec des mecs qui gesticulent en costume et micro à la main devant les boutiques de bijou pour attirer le chaland. C’est une rue constamment à l’ombre, par une magie architecturale, le soleil d’hiver n’atteint jamais Rundle Mall. Personne ne semble avoir froid, à part moi qui grelotte un paquet de mouchoirs à la main. C’est un peu la rue commerçante de la ville Far West, avec des ploucs du désert qui côtoient les riches bourgeois provinciaux. Les jolies frilles bien brushées et les white trash boutonneux cannette de bière à la main à 9h du mat. Un Châtelet à ciel ouvert, et condensé dans une rue, avec tout de même le côté exotique des ploucs mi-hooligans anglais mi-caravaniers avec des enfants mal coiffés et des vieux chiens pouilleux. Faut dire que c’est les vacances scolaires, et en plus c’est samedi. Grands Dieux ! (Grand Dieu ? Est-ce blasphématoire de le mettre au pluriel ?) Le clou du spectacle, en ces temps hivernaux, c’est évidemment la minuscule patinoire artificielle montée en plein milieu. Trois spectacles par jour (sur cette petite scène ?). Allez, il est 10h30, c’est bien tôt pour un samedi matin d’hiver, mais comme tout étranger en terre inconnue, je n’ai rien à faire le vendredi soir donc le samedi matin je me précipite à la fac pour m’abriter de ce monde hostile. Le petit détour par Rundle Mall s’imposait. Et donc allez, je me laisse tenter, de toute façon ce n’est pas comme si j’allais travailler. Tout le monde regarde. Attention mesdames et messieurs, ils viennent de toute l’Australie (= de la Ville : Sydney ou Melbourne) pour vous aujourd’hui, les chaaaaampions ! Et là, six jeunes femmes en maillot de bain rose à paillette, avec littéralement une plume dans le cul, le même fond de teint pour toutes, trop blanc sur certaines, trop foncé sur d’autres, des queues de cheval éblouissantes qui sont bien évidemment des extensions bon marché, et un joli sourire figé. Que font-elles ici ? Comment en sont-elles arrivées à se trémousser sur une musique sans âme sur une fausse patinoire de 12 m² dans un centre commercial à l’ombre avec des petits enfants Chinois et des bogans (terme local pour plouc white trash) qui les regardent bouche bée ? Y’a-t-il une patinoire à Adelaide ? Cette patineuse si souple aurait-elle pu être gymnaste ? Est-elle contente d’être ici ? Est-ce que ça paye bien ? Et je crois lire dans leurs yeux la même interrogation que dans les miens : « mais qu’est-ce que je fous là ? » ; suivie de, mais là c’est peut-être pousser la projection un peu loin, « Rundle Mall un samedi matin, je crois que j’ai touché le fond ». Les enfants crient. Les bogans boivent leur bière.

vendredi 6 juillet 2012

Sur la meme longueur d'ondes


Je vibre donc je suis.
Suis-je en train de devenir folle? Des elements avant-coureurs ont attire mon attention, mais je les ai ecartes. 1997: “On est sur la meme longueur d’ondes”: qu’est-ce que j’ai pu detester cette expression. Et qu’est-ce que j’etais conne. Aout 2007: foret de Jihlava. Red star dans le corps. Je suis mal, mal, mal, il fait sombre. Vojta constate, sobrement: “the universe is just strings”. Je pense ironiquement “oui, oui, c’est ca”. Octobre 2007: j’ai cru mourir mais la vibration m’a sauvee, et m’a montree le chemin jusqu’a toi. Et je sais que je ne suis pas la seule a vivre ca. Je sens chaque changement de vibration, chaque irruption d’un nouveau son, harmonieux ou dissonant. Vibration harmonieuse, moi, toi, le soleil, l’herbe. Une pensee arrive, une vaguelette, un tsunami, peu importe, ma frequence chance, l’harmonie de l’ensemble est brisee. Mais qu’as tu ressenti toi? Comment le sentir?
Donc ca serait ca, le bonheur. On t’a dit: pense tres fort a ce que tu veux, visualise, precisement, et l’univers te le rendra. Mais on ne nous a pas prevenu que c’est justement ca le vaste probleme: que veux-je? Qu’est-ce que je veux qui fera qu’apres je me sentirai complete, que je ne voudrai plus constamment changer. C’est un instant, celui ou l’on se sent juste bien, a l’infini, celui ou l’on se dit “j’aimerais que ca dure toujours” (mais bien sur l’irruption de cette pensee peut desharmoniser l’ensemble). Un instant de contentement qui arrive toujours un peu par surprise, que l’on ne peut pas necessairement controler. Une certain vibration, la mienne, qui va s’accorder aux vibrations d’un lieu, d’une personne, pour former une harmonie. Et cette harmonie est propre a chacun de nous, un certain chant, une voix, une melodie. Et cette harmonie justement ne depend pas que de moi. Peut-on etre heureux a cote de quelqu’un, physiquement, qui est sur une vibration dissonnante de la mienne? Cette personne percoit-elle egalement la dissonance ou bien justement non?
Les humains ont une vibration relativement forte, plus ou moins selon les individus. Malheureusement, ou heureusement, je crois avoir besoin de m’accorder constamment a la vibration de quelqu’un d’autre pour etre bien. La mienne ne me suffit pas. Peut-etre qu’elle est trop forte et qu’elle a besoin d’une autre vibration forte en harmonie? Deux petit poissons...Un banc de poissons...Et surtout, sentir que l’autre, les autres, ressentent la meme harmonie vibrationnelle...C’est arrive quelques fois, déjà. Et quelle frustration, quelle solitude quand les vibrations sont sensiblement dissonantes, ou quand l’harmonie, car elle est si forte, n’est pas partagee.

Pour mieux comprendre, en son et lumieres:

Et en images (faire abstraction de l’audience):

dimanche 13 mai 2012

Synesthète: dans tes rêves!

Mai 2009

"J'ai rêvé cette nuit qu'il y avait un rapport entre les nombres et la personnalité. Chaque odeur avait un nombre, et pouvait influencer un comportement. Les bons nombres étaient le 5 et le 13.Les méchants étaient le 6 et le 12. Mon parfum "Chance" portait une odeur 5."

Ca correspond à peu près aux couleurs que je sens en ce moment: couleurs chaudes pour les chiffres impairs (3 rouge, 5 jaune, 7 rouge), et couleurs froides pour les chiffres pairs (6 bleu turquoise, 8 bleu foncé ou violet selon le contexte chiffresque). C'est comme ça que je retiens les numéros de carte de cantine de tout le monde, enfin, ça aide. 7068, 7067: blanc, orange et rouge (couleur alsacienne?)
6276: très clairement bleu turquoise, couleur normande du nord (62, 76)
6277: hybride entre le chaud et le froid, turquoise et rouge.

Voilà, maintenant vous pouvez aller manger à l'oeil au restaurant Inter-Entreprise de la rue de Tolbiac!
Je mets ces textes entre guillemets, car ils ne sont pas de moi, mais de la personne que j'étais en 2008. Cependant, beaucoup de ces choses que j'ai écrites à l'époque ont encore un sens pour moi aujourd'hui. Désolée pour ces pavés indigestes, mais j'ai de l'affection pour la personne qui les a écrits, qui, insomniaque, devait écrire ça fébrilement sur un bout de papier afin d'expier et d'enfin trouver le sommeil, par nécessité absolue. Ces textes se trouvaient parmi des affaires ramenées des USA.

Novembre 2008, à quelques jours d'intervalles.

"Today is a day of change. I want to make something of my life, to create love and happiness. It's not me speaking. Universal positive energy through beins. I want to overcome sorrow, pain, cruelty, and all the forms of energy expressed in a negative way. I want to love you. Terrestrial life, external life might be miserabl in any respect, but I want to keep the fire from within burning. Our energy can be as constructive as destructive it proved to be many times. And I want to maintain and use the energy in a positive way. From now on, I decide to follow the light path instead of sorrow, complain and heaviness. Some things can be chose. Love is everywhere, sometimes next to cruelty. I have to find and turn on love everywhere I can, and if I can't, try to make people want the same. Stop destruction, let's create!"

Ok, j'avais peut-être un peu abusé du lsd. Et quelques jours plus tard:

"Ai-je le droit de dire que je suis malheureuse? Que je suis désespérée? J'ai deux impressions contradictoires. Parfois, je me dis que les moments de bonheur ne sont que d'intenses et brèves phases d'excitation qui jaillissent d'un océan de désespoir. Si j'attrape un espoir, je tire sur la corde jusqu'à ce que tout s'effondre: il était infondé, retour à la case départ. In cessante impression de tourner en rond et de ne faire qu'attendre la mort en essayant de vivre. La réflexion qui toujours accompagne cette première est que je suis heureuse, maintenant, tout de suite, et que je l'ai toujours été! Mes pleurs et ma morosité ne sont que le signe d'une faiblesse de caractère, d'une enfance trop gâtée. Autre variante: tout le monde est comme moi, sauf que j'ai la particularité de pleurer plus que la moyenne, par nature. You cannot control your mind, diraient certains détracteurs, philosophes et autres yogis. Eh bien non, definitely I cannot. Je suis déjà occupée à essayer de contrôler mon corps, et j'ai bien assez d'une prison. Par cela, je n'entends pas que que le corps (ou l'esprit) soit une prison, mais que la volonté infinie de le contrôler l'est. Autre variante encore: je suis inadaptée. Dans quel sens? Pourquoi? Pour quoi? Dans le sens où je ne suis bien nulle part, même -et c'est dur à dire, avec Lola, et c'est-à-dire avec moi-même en fait. Admettons que ce ne soit pas l'orgueil et l'égoïsme qui me rendent en permanence mal. C'est quoi alors, un caractère pessimiste peut-être?
Il n'y aucun élément de ma vie sur Terre qui puisse mener à de quelconques perturbations psychologiques. Au contraire, j'ai eu tout ce qu'il fallait pour être heureuse. Je devrais être heureuse, mais je ne le suis pas et me sens tellement coupable. Là encore, je me dis que personne ne l'est, d'où aucun espoir que je le sois un jour. Ou alors j'ai des prédispositions de caractère qui m'empêchent de voir le bon côté des choses (le "secret" du bonheur). C'est dur à changer, un caractère. D'ailleurs, je n'ai pas forcément envie de le changer, car c'est moi qui choisit d'être malheureuse. Avec tout ça, je mérite donc de l'être!Conclusion, reste dans ta merde, c'est entièrement ta faute.
L'impression que j'ai de mon expérience de vie: une continuelle déception. Jour après jour, je suis déçue. Par toutes les nouvelles choses que je fais, les personnes à qui je parle. Je cherche un modèle alors qu'il n'y en a pas. Et je traduis cette déception par deux attitudes: repli sur moi-même, ou bien agressivité vis-à-vis des "liens avec le monde" (personnes proches), qui ont pour point commun un dégoût croissant de moi-même.
A la lecture du livre (nda: livre de J. Siaud-Machin sur les gens """surdoués""", lu à cette période), j'ai cru trouver une réponse: je serais donc un zèbre! Hélas, tout me prouve le contraire: 1) je ne comprends rien à rien, 2) je suis nulle en maths. Je déteste les maths. Je les trouve moches, inutiles et absurdes. Je préfère la poésie et la danse. Quant à mes aptitudes du côté verbal, elles viennent tout droit de mon milieu ultra-favorisé. Je n'ai aucun mérite. Je suis normale. J'ai envie de mourir. Pas le passage de la vie à la mort, qui m'obsède car j'en ai très peur, ça m'obsède, tout le temps, je suis très angoissée.
J'ai plusieurs questions auxquelles je n'ai pas de réponse: pourquoi est-ce que je pleure tout le temps? pourquoi ai-je à la fois envie et si peur de mourir? pourquoi ai-je toujours l'impression que personne ne m'aime. Pourtant, une fois de plus je suis contradictoire car je pense que l'amour n'existe pas, ou alors il est extrêmement rare. Dans la réalité commune, personne n'aime totalement personne.
Tant d'incertitudes me rongent de l'intérieur. Dépendre de la parole d'autrui pour connaître leurs pensées. Quelle trahison! Le mensonge est partout! Quand je dis "je t'aime", je mens aussi. Les gens font semblant, mais je ne leur en veux pas. Mais alors pourquoi est-ce que je m'en veux à moi. Malheureusement, je crois que personne ne pourra jamais m'aider. Je suis condamnée à l'angoisse et aux pleurs. Condamnées par moi-même.

Je pourrais continuer longtemps comme ça, mais ça suffit (nda: effectivement)."

Une semaine après, dans un élan d'amour pour André, je partais à Prague sur un coup de tête.
Je suis amenée ces jours-ci à remonter le fil du temps. Je l'exaspère car je ne range pas assez vite, mais chaque petit carnet, petit papier habilement caché afin que personne ne le lise jamais, découvert au hasard dans un livre, une poche de sac à dos, une boîte à chaussures, m'amène à dérouler petit à petit l'écheveau de mon existence, à essayer de comprendre qui je suis. Des pensées enfouies que je compulse maladivement sur ce blog, non que ça intéresse quelqu'un, ou que je veuille que ce soit lu. Mais par peur d'oublier et, peut-être, dans un espoir très hypothétique que cela puisse parvenir un jour à quelqu'un qui pourra se dire: "je ne suis pas seul(e)".

samedi 12 mai 2012

Fun Radio

Je suis accro à Fun Radio, à ces chansons entêtantes diffusées 3 fois par heure, toujours les mêmes, qui rythment mes journées de façon cyclique. Toutes ces Inna, Cascada, Rihanna, poupées siliconnées et pourtant tellement touchantes. J'ai été séduite par Romain car il aime Inna, encore une bonne raison. Je n'aurais pas dû l'attendre pour aller la voir au Macumba de Saint-Julien-en Genevois l'année dernière. Le Macumba, plus grosse boîte de France, avec sa salle aux 7 miroirs et autant de dancefloors différents. Le rêve de toute une vie.Ces chansons qui me touchent, me mettent dans un état second, ou se superposent des rythmes réguliers, une voix divine, et des paroles simples, répétitives, et porteuses du sens que l'on choisit de leur accorder. "Where have you been, all my life", "I'm just playing, right here, right now", "Give me a chance to be into your life", où les femmes sont éternellement des victimes dans l'attente d'un homme viril qui les arrache à leur condition.
C'est horrible de toujours vivre dans l'attente de quelque chose, une attente abyssale et jamais satisfaite. Comment font les personnes qui se suffisent à elles-mêmes? Est-ce que certaines sont nées avec une case en moins, une âme incomplète? Et donc elles cherchent, inlassablement, ce petit morceau d'elles-même qu'elles ne pourront jamais trouver, qui ne conviendra jamais parfaitement, qui ne sera qu'un ersatz, un patch, un pansement à fleurs sur une blessure purulente, et elles souffriront toutes leur vie car elles ne peuvent pas se guérir elles-même. On croit trouver, et à chaque fois c'est un mensonge.

samedi 5 mai 2012

Remontons un peu plus loin encore. Ce n'est pas une chanson, mais trois, d'un même album. Une veste en jean, un sac, et un billet d'avion.

Mai 2007

Un soir de mai, il fait chaud, c'est l'anniversaire d'Emilio. Je l'ai vu, il a pris du lsd, il se prend pour une fleur, je m'ennuie, j'ai peur, j'ai pris la mauvaise voie, Eric m'aime trop, je me déteste, j'ai envie de mourir, Claire est bourrée, elle se fait plus ou moins violer dans un fossé, il est 20h et je suis saoule, et le pire c'est que j'aime ça. Il est là, il va venir. Il vient, avec sa copine. Je dois me cacher pour pleurer, et qui me console, c'est Eric, quelle cruauté, quel être immonde je fais, je ne mérite pas son amour. Eric part, Claire a disparu et tout le monde s'en fout, elle ressurgira au petit main avec des griffures partout, "tout va bien", Claire ne va pas bien et tout le monde s'en fout, car c'est Claire. André est là, je suis bourrée, j'ai mon jean blanc, des sandales compensée, mon haut bleu, et j'ai même pas de soutif, je suis une grosse pute et je me dégoûte, mais je suis bourrée donc c'est pas grave. André me parle toute la nuit, je ne comprends rien, ou je ne me souviens de rien, on boit de la cachaça avec du sucre, à même la bouteille, tout ce qu'il dit, c'est que je suis belle, et ça me suffit pour le suivre dans sa chambre. A cinq heures du matin, car il pleut et que je suis belle. Je passe l'agreg mais je m'en fous, ma vie n'a aucun sens mais je m'en fous, il me propose de venir en Tchéquie, et évidemment je dis oui. Il me donne du lsd et évidemment je dis oui.

La première fois à Olomouc, le premier trajet centre-ville/fakultni nemocnice, on traverse l'hôpital, il fait nuit, très sombre, j'ai peur, et s'il me tuait là? "Un petit peu d'urban bohemia", dit-il pour me rassurer. Qu'est-ce que je serais prête à donner pour retourner à Olomouc, cette nuit-là, avec sa main dans la mienne, la veste en jean, et la chaufferie de l'hôpital qui recrache sa fumée blanche dans la nuit d'été?

http://www.youtube.com/watch?v=U0B9myYLySc&feature=related
http://www.youtube.com/watch?v=AO1hGoOefYQ&feature=relatedhttp://www.youtube.com/watch?v=AeAB00szD4E
http://www.youtube.com/watch?v=gZsLP9oNdeo&feature=related

Take me away

Bon, décidément, je suis d'humeur en ce moment, à retracer ma vie en chansons. Comme les longueurs à la piscine. 1 longueur = 1 an, comment j'étais à 14 ans et demi? comment ça sera à 33 longueurs?

An immense tune, comme ils disent, en tout cas une chanson qui m'aura bercée pendant un an, quand ça allait bien quand ça allait mal, et qui encore aujourd'hui peut arriver à me hérisser quelques poils, bien qu'elle appartienne déjà au passé. Sans oublier que le mec de gauche est sacrément mignon. Bon, un soir, il pleut, je suis à Londres, j'ai  ma veste violette, et là, je le vois, à l'abribus, une canette de bière à la main, il me sourit, je prends le bus avec lui, il n'y a pas grand monde, il me prend la main, et je ne la lâche plus. Voilà, cette chanson, le mec de gauche, ma vie en Angleterre. Le dance floor, les basses qui font tout vibrer, même les verres sur le comptoir, mon sac à franges sur un sol poisseux, mes baskets à fleurs, les néons dans la figure, la solitude, la peur, et tous ces gens autour de moi qui ressentent la même chose mais ne le savent pas toujours, le froid, l'humidité, la bière, l'accent londonien, et les basses encore, qui tapent, qui nous donnent un rythme sur lequel on peut vivre. Malheureusement, la seule personne qui peut me taker away, c'est moi-même j'en ai peur.

http://www.youtube.com/watch?v=i46IN3h9dHk


Le Monde

Y a-t-il un profil type de l'anorexique?
Elle est perfectionniste, mal à l'aise dans les relations sociales, très performante sur le plan scolaire et dans l'excès. Elle cherche toujours à être la meilleure, la première de la classe. Elle ne s'aime pas mais a énormément besoin de l'amour des autres, de ses parents, de ses amis et de ses professeurs. L'anorexie est une maladie d'amour.
Une fois de plus, je voulais changer de vie, partir le plus loin possible, à la poursuite de quelque chose qui ne pourra exister que lorsque j'aurais accepté l'idée que ça n'existe pas. J'ai pris la solution la plus radicale qui soit, je suis retournée vivre chez mes parents. Je suis entourée de ses affaires, ses livres (dont il ne veut plus), ses affaires (qu'il me laisse, tout ça c'est du passé), les tee-shirts qu'il m'a offerts, le tee-shirt que je lui ai volé. Tout cela n'a plus aucun sens, ce ne sont plus que des objets, vides de leur substance.
Il n'a pas changé. Les mêmes cheveux, le même t-shirt, le même air absent et moqueur à la fois. "Tu sais, nous deux, pour moi, c'est du passé, c'est fini". J'ai son odeur dans la tête et je ne sais pas quoi en faire.

2009
Une soirée d'hiver, ou d'été, je ne sais plus. Une soirée, comme les autres, on fait le trajet à pied de Fakultni nemocnice jusqu'au centre-ville, sans savoir où aller. Au hasard, ce sera Vertigo. Un bar crasseux qui pue la clope, en entrant on passe devant les toilettes, la porte ne ferme pas, il n'y pas de papier. Ce même bar où lui et ses amis se sont fait casser la gueule par des skinheads, car il leur avait fait un bras d'honneur. Le bar est plutôt vide. Ca doit être l'été, il n'y a personne que nous connaissions. André roule un joint. Un grand écran est déployé, ça doit être un dimanche soir. Ils passent des clips. André, moi, et Radiohead. Je ne sais pas combien de temps ça dure, mais ça me semble une éternité. J'aimerais que ça s'arrête, qu'on reste toute la vie comme ça. Lui, moi, le joint, la chanson, le joint, le clip, moi, lui. Pour une fois, je m'en fiche de puer, je m'en fiche qu'il se foute les doigts dans le nez, je m'en fiche de rien comprendre, mais j'ai envie de mourir ici afin d'y rester pour toujours.

http://www.youtube.com/watch?v=nPX3u0XJzKM

2012
Je vais à la Cantada, un bar gothique près d'Oberkampf. C'est soirée karaoké. Il y a Lella et son pull jaune, comme une bouée de sauvetage, Erwan qui ressemble à mon cousin, et beaucoup de gens chevelus qui crient avec une bière dans chaque main. Et là, la chanson. Je n'entends plus rien, je ne vois plus rien. Et son odeur me submerge, son odeur, l'odeur du bar, l'odeur du joint, l'odeur des toilettes qui ne ferment pas, et je ne peux rien y faire.

Il ne sent rien, il ne sent plus rien. Son cou est là mais il ne sent plus rien. Désormais, ça ne sera plus que dans ma tête.

lundi 20 février 2012

Sweet Child O Mine

Un été anglais qui serait le premier et le dernier. Un été humide et froid, mais à la fois si plein de nostalgie avant d’avoir terminé. Juillet Août 2010. Je n’habite plus au Hood, mais dans cette nouvelle résidence derrière la forêt, donc j’ai oublié le nom. Toute en brique, désertée par les étudiants, je suis heureuse et seule. Je traverse la forêt tous les soirs en revenant de Woolf College. Michelle, parfois, marche avec moi, elle qui habite encore un peu plus à l’ouest, derrière le parking de la pharmacie. La traversée est à la fois douce et lugubre, effrayante, vaguement éclairée par les lampadaires. Il n’y plus aucun undergrad sur le campus, j’écoute encore et toujours les mêmes chansons, ou bien Radio One, en revenant de chez André. Cette fois où on avait trippé dans la forêt, dansé dans le champ. Puis tout s’était fini en demi-teinte, consolée et ramenée par Michelle et Paul. Dont j’apprendrais plus tard, presque par erreur et trop tard, qu’il m’aimait sans me connaître. Avec Paul, on passe par le petit sentier dans le sous-bois, parallèle au chemin principal. Il n’est pas éclairé du tout, il y a des moustiques. Je demande à Paul s’il est un vampire, il laisse planer le doute. Rien que pour cet instant, je retournerais bien à Canterbury. Mais on savait que c’était déjà la fin. Les nuits sont enfin calmes. Je m’allonge dans l’herbe et écoute ma chanson, elle est à peine humide et il fait doux. Je n’arrive plus à savoir si je suis en train de tripper ou pas et j’aime ça. André lit son livre de Yoga, tout seul chez lui. Je repense à l’année qui vient de s’écouler, et je sais qu’ils vont me manquer, tous. C’est l’éternel problème : partir, rester, revenir, partir encore. Tout est nécessaire, excitant et douloureux à la fois. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ma vie.

http://www.youtube.com/watch?v=neDhmV0BZ08


jeudi 16 février 2012

Serre-Chevalier 2

J’y retourne donc cet hiver. Tout me revient en mémoire immédiatement. Je n’ai pas la même chambre, mais le reste n’a pas changé. Les lits trop petits, l’absence de savon, le froid, l’absurdité des échanges forcés entre personnes qui ne se connaissent pas et tentent à la fois de cacher et de partager leur solitude. C’est tout ça que j’aime. Mon vernis bleu offre une ouverture insoupçonnée à tous ceux qui me voient comme une personne disponible. Samuel est magnifique, il ressemble à Benja. Grand, blond, avec de grands yeux bleus et une bonne éducation. Comme Benja, il dégage cette froideur de la timidité qui l’écarte irrémédiablement des autres. Il me colle toute la semaine, et je m’évertue à lui faire comprendre indirectement que je ne suis que moyennement disponible, et encore moins pour lui. Il y a quelque chose de forcé dans son attitude qui me gêne, bien qu’il soit sensible à la musique. Nous chantons ensemble au karaoké. Mercredi soir, des mecs bien comme il faut, des monos je crois, jouent à la guitare et chantent. J’ai juste envie de les regarder. Il essaie de me parler et je n’arrive pas à lui dire de fermer sa gueule. J’abandonne. Vendredi soir, « la soirée de la dernière chance » comme ils l’appellent. La soirée de tous les dangers, celle de tous les Charles-Xavier. Mais je n’ai plus vingt ans, et boire m’apparaît maintenant comme la recherche vaine d’un état que je ne retrouverai jamais. « A quoi bon ». Un mono ivre mort danse avec moi. Il vient de la Haute-Vallée de la Clarée, avec son air de hippie édenté, et même s’il sent le punch, je ne peux pas m’empêcher de l’aimer. Samuel en a marre de mon indifférence et se jette sur ma colocataire, une grande brune belge un peu neuneu mais gentille. J’ai à peine le temps de tourner la tête qu’ils se roulent de grosses pelles baveuses. Je ne comprends pas tout en ayant peur de comprendre. Une fois de plus, la nature humaine, y compris moi-même, me dégoûte.

Serre-Chevalier 1

Sur un coup de tête, un besoin d’air, un besoin irrépressible de me tourner vers ce que je connais et me rattache au passé. Partons faire du skating, partons à Serre-Chevalier. Cette vallée revient étrangement souvent dans ma vie. Noël 2006, au fond du trou si l’on peut dire, j’y retourne, seule cette fois. Je me rappelle des pommes noisettes, des filles qui ne m’aimaient pas, de mon rôle de fausse allumeuse car c’est le seul qui ne me dégoûte pas. Le froid, le soleil, la douleur qui est aussi ma récompense. Charles-Xavier, ou quelque chose comme ça. Il me drague depuis le premier soir, qui était également le soir de mes 21 ans. Il en reste une vidéo. Et quand je la regarde, je ne peux m’empêcher de penser, comment n’a-t-il pu voir la tristesse dans mes yeux. Je suis la seule fille du groupe, et la photo prise par Yves nous as immortalisés sous un beau soleil, où l’on ne peut pas voir la violence et l’hypocrisie de nos échanges, qui ne m’ont frappée que bien plus tard. Thibault est le plus attachant. Etudiant à l’école des officiers de la marine marchande, au Havre. Qu’est-ce qu’il vient faire du skating à Serre-Chevalier, on se demande. Il a fait le tour du monde sur un méthanier. Je lui demande de me parler du cap de Bonne-Espérance et du détroit de Singapour. « Ce n’est pas un monde facile, quand à 21 ans tu dois avoir sous ta responsabilité une équipe de marins dont l’intérêt ne porte que sur les magazines de cul. Aller aux putes à chaque escale, c’est presque une obligation ». Je ne sais pas si je dois le croire quand il dit ne pas y aller. Il n’a pas d’adresse e-mail et c’est absurde en 2006. Les quatre garçons dorment tous ensemble. Thibault : « ça ne vole pas haut, ils parlent de toi et de branlette ». Le dernier soir, c’est Charles-Xavier qui gagne. Je suis bourrée comme je pouvais l’être à 20 ans, avec insouciance, légèreté et désespoir. C’est déjà la fin de cette vie que j’aimais tant mais qui n’était qu’une euphorie permanente, qui nous a tous laissés sur le carreau. « Le ski alpin », comme dirait Yves. Il insiste pour que je couche avec lui, notre échange se résume à : lui: « allez, sois pas coincée » (et diverses tentatives de ce genre), moi : « non ». Et quand finalement il fourre sa langue dans ma bouche et que je me laisse faire, j’ai envie de mourir.

mardi 14 février 2012

C'est au moment où ne nous aimions plus vraiment justement, où l'on savait que nos vies avaient pris deux directions différentes, que j'ai le plus aimé André. Nous sommes dans la vieille Skoda du grand-père, en route vers l'est. Il s'arrête à la sortie d'Olomouc, sur le bas-côté, sort de la voiture, le moteur tourne, il ouvre ma portière, j'ai peur, il me dit: "Allez, conduis." Pour la première fois, j'entends dans le ton de sa voix la décision que j'ai attendue pendant plusieurs années. Si je n'avais pas aussi peur, j'aurais pleuré. Il fait chaud, nous roulons, il se déshabille, et je pense aux guêpes et à la mort au coin du tournant. He finally manhandled me. Je suis amoureuse. Comme d'habitude il est trop tard.

mardi 10 janvier 2012

Pour ceux qui ne lisent pas, mais qui dévorent

Il y a des gens qui écrivent comme ils mangent. Avec parcimonie et propreté, page après page sans les corner ni les plier. Un petit peu chaque jour, point trop n'en faut. D'autres qui ne résistent pas aux lumières de romans calibrés pour la consommation de masse, au goût suave et sucré vite oublié qui plaira au plus grand nombre. Parfois, ceux-ci s'efforcent de varier leur régime en achetant un livre jugé plus sérieux, qui restera de longs mois sur la table de nuit, inviolé et témoin silencieux de plaisirs moins avouables, tel la conserve de haricots verts cachant à peine le pot de Nutella aux trois-quart terminé. La plupart des lecteurs commencent par l'entrée et finissent par le café. Ils prennent plaisir à progresser peu à peu, sur un chemin plus ou moins délectable, vers l'apothéose et la conclusion du récit. Certains, écoeurés, jettent l'éponge au plat de résistance et choisissent d'écourter une expérience au goût fade ou au contraire trop appuyé qui contrarie leurs papilles expertes. D'autres enfin, les plus indisciplinés, ne peuvent s'empêcher de voir le récit qui s'offre à eux comme un vaste buffet où s'expose un assemblage subtil de mets variés et délectables. Ils ne voient alors plus comment ils pourraient se satisfaire d'un dîner interminable où la surprise est proche de l'ennui, alors qu'ils peuvent picorer un petit four par-ci, un macaron par là, un bout d'intrigue à droite, un dialogue à gauche. La succession attendue et naturelle des pages , n'a que peu d'intérêt aux yeux de ce lecteur gourmand, qui dévore le livre par le milieu en laissant des miettes un peu partout, sans se préoccuper de l'ordre convenu et de l'assemblage des saveurs savamment pensé. Il se fond dans l'intrigue, l'absorbe, l'engloutit dans tous les sens et la réinvente à sa sauce. Une fois repu, sa boulimie satisfaite, il peut revenir sur les quelques miettes et taches de récit laissées ici ou là, par gourmandise ou amour de l'ordre. Ce lecteur-là ne paraît pas des plus exigeants. Cependant, seul un festin subtil de goûts, de formes, de couleurs, de textures, pourra exciter suffisamment son appétit et combler un vide qu'il porte en lui. Un vide d'histoires nouvelles dont il ne se repaît que provisoirement, un vide jamais rassasié. Une faim vitale de connaissances, de perceptions et d'émotions qui le dévore lui-même de l'intérieur mais sans laquelle il ne peut vivre.