Mais qu’est-ce que je fous en
Australie ? C’est évidemment ce que je me demande dès que je commence ma
valise dans la petite chambre parisienne. Qu’est-ce qui me prend de vouloir
quitter mon bel été, mes petites habitudes confortables, pour un mois de
travail, de froid et de solitude ? Mais se poser cette question, c’est se
demander : mais qu’est-ce que je fous en thèse ? A vouloir réfléchir
trois longues années sur un sujet qui ne passionne personne. Ou vraiment ?
Ce n’est pas possible, ils font semblant ? J’ai dû mal à y croire. Comme
cette vigneronne interviewée ce matin qui avait l’air si passionnée, si
inspirée par son vin, le fait d’habiter à McLaren Vale et à quel point tout
cela est merveilleux. Fait-elle semblant ? Arriverai-je un jour à
atteindre ce degré d’enthousiasme pur, premier degré, pour quelque chose, la
sensation d’avoir accompli le but de toute une vie ? Et les deux
étudiantes qui m’aident, gratuitement, génuinement, pour rien, pourquoi
font-elles ça ? Sont-elles sincères dans leur how fantastic ? Dois-je y croire ? Suis-je incapable de
percevoir l’hypocrisie des gens, telle une sorte d’autiste bien intégrée à la
société ?
Heureusement, Adelaide et ses
journées ternes et froides sont animées par des excursions quasi-quotidiennes à
Rundle Mall. Ce n’est pas un centre commercial au sens propre, mais une rue
piétonne avec une concentration incroyable de magasins en tous genres, de
bonimenteurs, magiciens, petit enfants roux qui jouent de la flûte pour gagner
de l’argent (mignon ? triste ? heureux car signe d’une société qui s’intéresse
à la musique/met en avant le talent/encourage les enfants à se prendre en main
pour gagner de l’argent de poche et ne pas être des assistés comme ces larves d’européens ?
je ne saurais dire), filles en mini-short alors que c’est l’hiver, putain, c’est
l’hiver, elles portent un bonnet, une écharpe, des gants et un mini-short. Non
décidément, je ne comprends rien à la vie. C’est une rue extrêmement bruyante,
avec des mecs qui gesticulent en costume et micro à la main devant les
boutiques de bijou pour attirer le chaland. C’est une rue constamment à l’ombre,
par une magie architecturale, le soleil d’hiver n’atteint jamais Rundle Mall.
Personne ne semble avoir froid, à part moi qui grelotte un paquet de mouchoirs
à la main. C’est un peu la rue commerçante de la ville Far West, avec des
ploucs du désert qui côtoient les riches bourgeois provinciaux. Les jolies
frilles bien brushées et les white trash boutonneux cannette de bière à la main
à 9h du mat. Un Châtelet à ciel ouvert, et condensé dans une rue, avec tout de
même le côté exotique des ploucs mi-hooligans anglais mi-caravaniers avec des
enfants mal coiffés et des vieux chiens pouilleux. Faut dire que c’est les
vacances scolaires, et en plus c’est samedi. Grands Dieux ! (Grand Dieu ?
Est-ce blasphématoire de le mettre au pluriel ?) Le clou du spectacle, en
ces temps hivernaux, c’est évidemment la minuscule patinoire artificielle
montée en plein milieu. Trois spectacles par jour (sur cette petite scène ?).
Allez, il est 10h30, c’est bien tôt pour un samedi matin d’hiver, mais comme
tout étranger en terre inconnue, je n’ai rien à faire le vendredi soir donc le
samedi matin je me précipite à la fac pour m’abriter de ce monde hostile. Le
petit détour par Rundle Mall s’imposait. Et donc allez, je me laisse tenter, de
toute façon ce n’est pas comme si j’allais travailler. Tout le monde regarde.
Attention mesdames et messieurs, ils viennent de toute l’Australie (= de la
Ville : Sydney ou Melbourne) pour vous aujourd’hui, les chaaaaampions !
Et là, six jeunes femmes en maillot de bain rose à paillette, avec
littéralement une plume dans le cul, le même fond de teint pour toutes, trop
blanc sur certaines, trop foncé sur d’autres, des queues de cheval
éblouissantes qui sont bien évidemment des extensions bon marché, et un joli
sourire figé. Que font-elles ici ? Comment en sont-elles arrivées à se
trémousser sur une musique sans âme sur une fausse patinoire de 12 m² dans un centre
commercial à l’ombre avec des petits enfants Chinois et des bogans (terme local pour plouc white
trash) qui les regardent bouche bée ? Y’a-t-il une patinoire à Adelaide ?
Cette patineuse si souple aurait-elle pu être gymnaste ? Est-elle contente
d’être ici ? Est-ce que ça paye bien ? Et je crois lire dans leurs
yeux la même interrogation que dans les miens : « mais qu’est-ce que
je fous là ? » ; suivie de, mais là c’est peut-être pousser la
projection un peu loin, « Rundle Mall un samedi matin, je crois que j’ai
touché le fond ». Les enfants crient. Les bogans boivent leur bière.
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