Je ne connais personne à Adelaïde, et si vous avez lu la plupart de mes messages, vous avez compris que j’ai du mal à me faire des amis. C’est donc tout naturellement qu’au lieu de rentrer seule dans un pub, j’ai décidé de trouver des amis via internet. Il y a un pub en bas de chez moi, The British, established since 1832. Ca doit donc en faire un des bâtiments les plus anciens de la ville. A chaque fois que je passe devant, je pense à Michelle, qui allait tous les soirs au Dog, à un quart d’heure du campus vers le nord à Canterbury. Pas seulement pour draguer le serveur, mais parce qu’elle s’y sentait bien, à parler aux vieux messieurs et à caresser les chiens. Je n’ai pas son courage. Et elle dit ne pas avoir le mien de rencontrer des inconnus par le web. Une différence générationnelle peut-être. Je lance donc des bouteilles à la mer sur couchsurfing.org, non je ne cherche pas un canapé mais quelqu’un à qui parler. Kyle me répond, il a des dreads, il est canadien, et sur sa photo il fait du canoë. De toute façon, j’ai pas trop trié dans les options. Il me demande si je veux venir prendre le thé chez lui et si je suis végétarienne (un peu déconcertant, tea veut dire dîner en Australie comme c’est le cas à York ? et qu’en est-il au Canada ?). Et puis finalement il m’appelle. « Eh si tu veux, je dois raccompagner un ami dans les collines, alors on peut t’emmener voir le Mount Lofty si tu veux ». J’ai pas trop compris, je me rappelle vaguement avoir passé deux jours à lire des histoires de serial killers sur wikipédia avant mon départ, mais comme j’ai très envie de voir le Mount Lofty et qui ne tente rien n’a rien, je dis ok. Kyle et son ami aux cheveux teints en noir arrivent dans un vieux pick-up pourri me ramasser devant le zoo. Ils ont l’air sympa, donc je me méfie. Ils essaient de faire la conversation, mais c’est dur avec le bruit du moteur. Apparemment, ils habitaient le mois dernier dans un cottage dans les Adelaide Hills, où ils ont hébergé 25 couchsurfers dont 22 Français. Pas de bol, je pense, mais ça n’a pas eu l’air de les déranger, car ils ont tous sans exception proposé de faire des crêpes. De crêpes on parle de champignons (quoi mettre dedans), puis à mon sujet de master de l’année dernière, puis aux magic mushrooms, tout ça en vingt secondes à peu près. Pourtant j’ai franchement pas la tête de l’emploi. Gentiment, Kyle prend la scenic road pour grimper, et je me demande sérieusement si, plutôt que de me retrouver coupée en morceaux sous une pierre, le shérif ne va pas nous retrouver carbonisés au fond d’un ravin. Kyle tourne la tête pour nous montrer la vue, et à chaque fois le pick-up fait un écart. Alors je pense à ma mère et j’ai pas envie de mourir.
On arrive dans une petite maison d’où sort de la fumée de cheminée. Une petite dame avec des très gros seins nous accueille et nous sert du thé. Elle vient de passer six semaines en France et a proposé à trois jeunes à dreadlocks et cheveux teints en noir de housesitter sa maison. Kyle et ses amis ont donc nourri le chien et les poulets pendant six semaines, et la dame a l’air contente. « She is quite spiritual » me confie Kyle.
Nous laissons l’ami aux cheveux noirs quelque part près d’une autoroute et rentrons chez Kyle pour prendre le fameux tea et regarder un film. Il est très taciturne et j’espère ne pas le déranger, mais après tout c’est lui qui m’a proposée de venir. Il me demande si j’ai un copain, comme le moniteur d’auto-école, et ça me met un peu mal à l’aise. Arrivés chez lui, je lui cuisine donc un curry thaï pas bon avec du lait de coco périmé (il se nourrit avec les produits trouvés dans les poubelles du supermarché), puis on regarde un film de merde sur mon ordinateur. Maintenant, il house-sit la maison d’un couple homo, qui se sont mis en photo sur tous les murs, dans une banlieue d’Adelaïde qui s’appelle Prospect. Il me montre comment il a construit un didgeridoo avec un tube en plastique, et étonnamment ça marche. Puis comme il ne dit rien et moi non plus, et qu’en fait il fait tout noir, je lui demande de me raccompagner chez moi en voiture, ce qu’il accepte sans problème. Il me dépose à Melbourne street, et l’on se dit poliment qu’on s’appellera pour prendre un verre. Ce matin, je ne savais pas ce qu’il pensait de moi, alors je lui ai laissé une bonne review sur le site de couchsurfing, mais il n’a pas fait de même. C’est marrant, on dirait du blind dating. Peut-être que mon curry n’était vraiment pas bon.