lundi 20 février 2012

Sweet Child O Mine

Un été anglais qui serait le premier et le dernier. Un été humide et froid, mais à la fois si plein de nostalgie avant d’avoir terminé. Juillet Août 2010. Je n’habite plus au Hood, mais dans cette nouvelle résidence derrière la forêt, donc j’ai oublié le nom. Toute en brique, désertée par les étudiants, je suis heureuse et seule. Je traverse la forêt tous les soirs en revenant de Woolf College. Michelle, parfois, marche avec moi, elle qui habite encore un peu plus à l’ouest, derrière le parking de la pharmacie. La traversée est à la fois douce et lugubre, effrayante, vaguement éclairée par les lampadaires. Il n’y plus aucun undergrad sur le campus, j’écoute encore et toujours les mêmes chansons, ou bien Radio One, en revenant de chez André. Cette fois où on avait trippé dans la forêt, dansé dans le champ. Puis tout s’était fini en demi-teinte, consolée et ramenée par Michelle et Paul. Dont j’apprendrais plus tard, presque par erreur et trop tard, qu’il m’aimait sans me connaître. Avec Paul, on passe par le petit sentier dans le sous-bois, parallèle au chemin principal. Il n’est pas éclairé du tout, il y a des moustiques. Je demande à Paul s’il est un vampire, il laisse planer le doute. Rien que pour cet instant, je retournerais bien à Canterbury. Mais on savait que c’était déjà la fin. Les nuits sont enfin calmes. Je m’allonge dans l’herbe et écoute ma chanson, elle est à peine humide et il fait doux. Je n’arrive plus à savoir si je suis en train de tripper ou pas et j’aime ça. André lit son livre de Yoga, tout seul chez lui. Je repense à l’année qui vient de s’écouler, et je sais qu’ils vont me manquer, tous. C’est l’éternel problème : partir, rester, revenir, partir encore. Tout est nécessaire, excitant et douloureux à la fois. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ma vie.

http://www.youtube.com/watch?v=neDhmV0BZ08


jeudi 16 février 2012

Serre-Chevalier 2

J’y retourne donc cet hiver. Tout me revient en mémoire immédiatement. Je n’ai pas la même chambre, mais le reste n’a pas changé. Les lits trop petits, l’absence de savon, le froid, l’absurdité des échanges forcés entre personnes qui ne se connaissent pas et tentent à la fois de cacher et de partager leur solitude. C’est tout ça que j’aime. Mon vernis bleu offre une ouverture insoupçonnée à tous ceux qui me voient comme une personne disponible. Samuel est magnifique, il ressemble à Benja. Grand, blond, avec de grands yeux bleus et une bonne éducation. Comme Benja, il dégage cette froideur de la timidité qui l’écarte irrémédiablement des autres. Il me colle toute la semaine, et je m’évertue à lui faire comprendre indirectement que je ne suis que moyennement disponible, et encore moins pour lui. Il y a quelque chose de forcé dans son attitude qui me gêne, bien qu’il soit sensible à la musique. Nous chantons ensemble au karaoké. Mercredi soir, des mecs bien comme il faut, des monos je crois, jouent à la guitare et chantent. J’ai juste envie de les regarder. Il essaie de me parler et je n’arrive pas à lui dire de fermer sa gueule. J’abandonne. Vendredi soir, « la soirée de la dernière chance » comme ils l’appellent. La soirée de tous les dangers, celle de tous les Charles-Xavier. Mais je n’ai plus vingt ans, et boire m’apparaît maintenant comme la recherche vaine d’un état que je ne retrouverai jamais. « A quoi bon ». Un mono ivre mort danse avec moi. Il vient de la Haute-Vallée de la Clarée, avec son air de hippie édenté, et même s’il sent le punch, je ne peux pas m’empêcher de l’aimer. Samuel en a marre de mon indifférence et se jette sur ma colocataire, une grande brune belge un peu neuneu mais gentille. J’ai à peine le temps de tourner la tête qu’ils se roulent de grosses pelles baveuses. Je ne comprends pas tout en ayant peur de comprendre. Une fois de plus, la nature humaine, y compris moi-même, me dégoûte.

Serre-Chevalier 1

Sur un coup de tête, un besoin d’air, un besoin irrépressible de me tourner vers ce que je connais et me rattache au passé. Partons faire du skating, partons à Serre-Chevalier. Cette vallée revient étrangement souvent dans ma vie. Noël 2006, au fond du trou si l’on peut dire, j’y retourne, seule cette fois. Je me rappelle des pommes noisettes, des filles qui ne m’aimaient pas, de mon rôle de fausse allumeuse car c’est le seul qui ne me dégoûte pas. Le froid, le soleil, la douleur qui est aussi ma récompense. Charles-Xavier, ou quelque chose comme ça. Il me drague depuis le premier soir, qui était également le soir de mes 21 ans. Il en reste une vidéo. Et quand je la regarde, je ne peux m’empêcher de penser, comment n’a-t-il pu voir la tristesse dans mes yeux. Je suis la seule fille du groupe, et la photo prise par Yves nous as immortalisés sous un beau soleil, où l’on ne peut pas voir la violence et l’hypocrisie de nos échanges, qui ne m’ont frappée que bien plus tard. Thibault est le plus attachant. Etudiant à l’école des officiers de la marine marchande, au Havre. Qu’est-ce qu’il vient faire du skating à Serre-Chevalier, on se demande. Il a fait le tour du monde sur un méthanier. Je lui demande de me parler du cap de Bonne-Espérance et du détroit de Singapour. « Ce n’est pas un monde facile, quand à 21 ans tu dois avoir sous ta responsabilité une équipe de marins dont l’intérêt ne porte que sur les magazines de cul. Aller aux putes à chaque escale, c’est presque une obligation ». Je ne sais pas si je dois le croire quand il dit ne pas y aller. Il n’a pas d’adresse e-mail et c’est absurde en 2006. Les quatre garçons dorment tous ensemble. Thibault : « ça ne vole pas haut, ils parlent de toi et de branlette ». Le dernier soir, c’est Charles-Xavier qui gagne. Je suis bourrée comme je pouvais l’être à 20 ans, avec insouciance, légèreté et désespoir. C’est déjà la fin de cette vie que j’aimais tant mais qui n’était qu’une euphorie permanente, qui nous a tous laissés sur le carreau. « Le ski alpin », comme dirait Yves. Il insiste pour que je couche avec lui, notre échange se résume à : lui: « allez, sois pas coincée » (et diverses tentatives de ce genre), moi : « non ». Et quand finalement il fourre sa langue dans ma bouche et que je me laisse faire, j’ai envie de mourir.

mardi 14 février 2012

C'est au moment où ne nous aimions plus vraiment justement, où l'on savait que nos vies avaient pris deux directions différentes, que j'ai le plus aimé André. Nous sommes dans la vieille Skoda du grand-père, en route vers l'est. Il s'arrête à la sortie d'Olomouc, sur le bas-côté, sort de la voiture, le moteur tourne, il ouvre ma portière, j'ai peur, il me dit: "Allez, conduis." Pour la première fois, j'entends dans le ton de sa voix la décision que j'ai attendue pendant plusieurs années. Si je n'avais pas aussi peur, j'aurais pleuré. Il fait chaud, nous roulons, il se déshabille, et je pense aux guêpes et à la mort au coin du tournant. He finally manhandled me. Je suis amoureuse. Comme d'habitude il est trop tard.