Mes mains sentent le falafel, elles poissent, elles me dégoûtent. Mes aisselles sentent la sueur. Mes cheveux gras pèsent sur mon crâne. Ma peau me démange de l’intérieur. Mon dos ne tient pas en place. Mes fesses n’en peuvent plus d’être assises. J’aimerais être ailleurs, mais nulle part en particulier. Je voudrais fuir ce corps, m’évader par un trou de nez et partir en fumée dans l’air, me mêler aux gouttes de pluie, redescendre violemment sur le bitume, exploser en 10 000 gouttelettes, ruisseler dans un caniveau, à travers une bouche d’égoût, contourner un rat en décomposition et lécher ses flancs rêches et froids aux poils ratatinés, poursuivre dans les fissures d’une nappe phréatique, et finir ma course dans un océan, au milieu de l’immensité, diluée, éternelle, immanente.
Je lis et je relis ce que je suis censée apprendre aux étudiants. Je n’y comprends rien et pourtant c’est moi qui l’ait écrit. Mon odeur et le contact du gras sur mes mains et ma tête m’empêchent de me concentrer, sans compter l’insoutenable chaleur moite et pauvre en oxygène de cette bibliothèque. Je n’arrive pas à trouver le repos. Le contact de mes cuisses sur la chaise m’horripile, alors je me sens obligée de serrer les fesses régulièrement afin de minimiser ce contact. Les larmes me montent aux yeux aussi facilement que j’aimerais m’extraire de ce corps et de cet esprit gênants et n’être qu’une molécule insignifiante. Ce que je suis, bien sûr, une molécule insignifiante de la fractale de l’univers. Mais j’aimerais en être l’élément le plus petit, le plus unique, la forme primitive.
Je traverse la bibliothèque comme un zombie; les jambes des filles, les voix, les odeurs, les paroles, les rires, tout m'agresse. Je dévie de mon chemin pour les éviter. Je n'ose pas les regarder dans les yeux, j'ai envie de pleurer de dégoût, sur moi-même (bien sûr car je ne pense qu'à moi-même). J'ai l'impression que mon mal-être physique suinte par tous les pores de ma peau, même si je sais que j'ai l'air normale. Et que si tous ces gens ont l'air normal, eux aussi suitent probablement leur propre mal-être. Ou pas? J'arrive vers Romain, je n'en peux plus, je suis obligée de lui chuchoter, de lui demander si lui aussi rêve de prendre un couteau et de s'ouvrir la peau en deux, de haut en bas, de laisser ses organes se répandre sur le sol et de tout brûler. Il rigole en disant "non".
Fumer m’apaiserait. Mais je ne veux pas fumer. Je ne veux rien. Rien, rien désespérément rien. Ou alors, si, valdinguer toutes mes affaires par la fenêtre, et courir pieds nus sous la pluie, avec des personnes qui partageraient la même chose que moi. Je n’en peux plus des gens, de ne pas pouvoir être eux, de ne pas pouvoir contrôler leur pensée, de ne pas pouvoir m’unir spirituellement. « Je n’arrive pas à accepter l’altérité ». J’aimerais être l’Etre unique. J’aimerais que tous coulent en moi, et je pourrais ainsi me liquéfier et me répandre tranquillement. J’aimerais juste être, mais je n’y arrive pas. J’aimerais être une feuille, et tomber. Mourir est impossible, même si vivre m’emmerde. Alors j’attends patiemment la fin du monde, que j’espère ardemment pour dans quelques semaines. On mourrait tous ensemble et on vivrait enfin une expérience de communion universelle, tous les égos et tous les cerveaux seraient dissous. Le seul intérêt que je vois à ma vie est la drogue, et la douce sensation de me dissoudre enfin qu’elle procure. Avec elle, je ne vis plus, mais je suis tout simplement, je suis l’air, le son, la terre. Je peux m’allonger dans la terre et être la terre. Je peux me laisser porter par les vibrations sans avoir à me préoccuper de vivre. Comme disait ma grande amie et philosophe germanophone Marit, la musique te donne un rythme sur lequel vivre, et alors tu n’as plus qu’à te laisser porter. Entre la méditation et la drogue, mon choix est vite fait. Je veux tout, tout de suite. Je suis une consommatrice, une princesse, et un vieux torchon insignifiant à la fois.
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