mercredi 24 août 2011

La Grenouille Cosmique

Les années passent et se ressemblent, après l'hiver australien vient l'été et sa ribambelle de festivals auxquels on n'a jamais le temps d'aller. Cette année, j'ai encore raté le Transylvania Calling, dans la montagne près de Sibiu, en Roumanie. Jindra et sa (nouvelle) copine y sont allés, ils nous racontent tout ça et finalement je ne regrette pas. C'est un peu comme si j'y étais. Les huit heures de train Bucarest-Sibiu, le tracteur payé 100 dollars pour monter les festivaliers et leurs bagages, les Bretons dans des vans déglingués, les deux premiers jours sans scène ni musique mais avec pluie, les spaghettis hors de prix, la douche froide, les chiens, le camping à 2000 mètres d'altitude, les Gitans qui ramassent des myrtilles et conduisent des voitures sans portières. Apparemment, 90% des festivaliers étaient français et allemands et Jindra s'est senti un peu dépaysé.

Pour tout mal il y a un bien, et si je n'ai pu aller à Sibiu, André me propose d'aller au festival de la Grenouille Cosmique, près de Uherské Hradiste. Je ne saurais refuser pareille occasion, et j'espère secrètement qu'il y aura un stand de bramboraky. Luxe suprême, nous irons en voiture, dans la vieille Skoda de son grand-père. Et puisque je suis officiellement désignée apte à conduire, j'aurai même le droit de prendre le volant. Ce que je fais plus que tôt que prévu. A peine sortis de la ville, il s'arrête sur le bas-côté, ouvre la portière: "allez, à toi!". Oh mon dieu, nous sommes trop jeunes pour mourir! (quoique). Heureusement, il a eu la bonne idée de ne pas payer la vignette d'autoroute, donc je n'ai pas à dépasser les 80 km/heure (et de toutes façons le moteur ne semble pas vouloir aller au-delà). Une petite ballade bucolique dans la campagne morave, égayée de demi-tours, coups de klaxons et cueilleurs de prunes arrêtés inopinément au milieu de la route (pour la slivovice), sur des routes soit pavées, soit pleines de trous et bordées d'arbres. Miraculeusement, nous arrivons à la Grenouille Cosmique avant la tombée de la nuit, au fin fond d'une petite vallée où se situe un complexe touristique soviétique et dont l'on pourrait traduire le nom par "le joli petit endroit qui pue". André ne cesse de rencontrer des gens qu'il connaît, et je m'aperçois avec horreur qu'il n'y a ni langos, ni bramborak, ni trdelnik, mais un stand de tofu grillé et de tortillas.
C'est un petit festival qui se divise en deux scènes. L'espace "chill out" se situe dans la baraque principale, où il est écrit "réfectoire". C'est un lieu courant de camps en tous genres et colonies de vacances. Les tables et chaises ont fait place à des tentures fluos pendues au mur et décorées de silhouettes bizarres avec des trompes d'éléphant et beaucoup trop d'yeux. Un salon de thé improvisé sert de l'eau, de la limonade au gingembre et des tee-shirts. La deuxième scène, principale, est beaucoup plus loin, et il faut descendre une petite butte pour y accéder, qui le soir se transforme en patinoire boueuse. Il y a également une piscine vide, que l'orage n'a pas réussi à remplir. La musique n'a pas encore commencé. Une petite buvette improvisée entre deux tentes, surmontée d'un écriteau "Bar", sert également du thé ayurvédique. Nous nous y reposons un peu. Un jeune homme arrive et demande ce que l'on y sert. La responsable s'enquiert de lui répondre toutes sortes de thés possibles. "Non, mais je veux dire, t'as quoi comme trips?" Ce n'est pas non plus un problème, il suffit de demander: acid, mdma, DMT, 2CB, 2CI. Ca fait beaucoup de psychédéliques pour un endroit où l'on est censé danser.

Je ne me sens pas très bien. Tout nouvel endroit nécessite un temps d'adaptation, et j'ai peur de trouver le week-end bien long, donc je décide de prendre un peu de mdma, ce qui s'est avéré être plutôt une mauvaise idée. A Ozora, deux ans plus tôt, je m'étais bien amusée une semaine sans une once de drogue ni d'alcool, alors pourquoi changer une recette qui gagne? Le mieux est l'ennemi du bien. Quelques heures plus tard, je suis malade, et je pense avec horreur aux inévitables Toi-Toi après une journée en plein soleil. Une fois de plus, tout mal a un bien. Un peu plus haut, j'aperçois les lumières d'un bloc sanitaire, qui brillent comme un phare dans ma nuit tourmentée. Les portes ne ferment pas, et je n'ai pas été le seul être vivant attiré par les lumières en pleine nuit, mais qu'importe, un peu de luxe ne fait pas de mal. Je me rattraperai demain.

Joies du camping, après une nuit passée à avoir froid, nous sommes réveillés au matin par un soleil brûlant. Le jour s'écoule tranquillement, animé par une recherche vaine de fromage frit à la brasserie du complexe touristique. Sur le chemin du retour, au détour d'un sentier qui, à défaut d'être un raccourci, s'est révélé être un champ d'orties, nous découvrons un autre type de festival: un rassemblement de tuning. Je suis aux anges. Des Skoda, Trabant, et même une Seat Ibiza, avec des moteurs chromés et des sièges en peau de panthère. Des enceintes puissantes d'où s'échappe la voix mélodieuse d'Inna. Mais où étais-je donc hier soir? Nous arrivons au moment de l'attraction principale, deux filles peu vêtues lavent une voiture avec des éponges sous les yeux curieux ou indifférents de la jeunesse. A coté, la même piscine qu'à notre festival, remplie d'une eau verdâtre et tiède, dans laquelle personne ne se baigne.

Le deuxième soir s'avère prometteur. Par désir de ne pas rester sur le carreau, je décide de tester cette poudre appelée 2CI, censée me donner envie de danser tout en procurant des hallucinations. Parfait. Ca m'a effectivement donné envie de danser, sauf que je ne pouvais plus bouger, mon corps pesant trois tonnes, et affublée d'un terrible mal de ventre. Bien dommage que l'incomfort physique m'empêche de profiter de la musique et de ces magnifiques jeux de lumières dans le ciel, et de ces beaux dessins dans le sol. Je réalise après quelques minutes que je suis peut-être finalement en train d'halluciner. André n'a pas l'air très bien non plus, mais comme il ne danse jamais, on ne voit pas trop la différence. La musique paraît venir de plusieurs endroits à la fois, de plusieurs univers différents, et je dois me concentrer pour réaliser qu'elle vient d'un seul et même DJ. C'est magique. On va faire un tour dehors, en marchant tout doucement et en rigolant de choses sans importance. Tout le monde a l'air un peu à l'ouest et personne ne nous prête attention. Une amie d'André surgit de nulle part dans la nuit en dansant, avec ses cheveux rouges. Ils se parlent trente secondes, mais elle ne tient plus "désolée, mais quand j'entends ça, je dois aller danser!" Et elle se dirige vers un feu de camp au son des tams-tams. Elle n'a rien pris, ça me rapelle Ozora. Nous retournons à l'espace chill-out, qui est déjà bien rapide à notre goût un peu distordu. Je me sens vraiment pas bien, comme la soirée dernière, mais sentant que je ne peux pas vraiment contrôler mon corps, vouloir vomir me semble inutile. J'ai l'impression que des insectes me piquent partout et pense à Fergie des Black Eyed Peas qui prenait du crystal meth et raconta la même sensation dans une interview. Ah zut. Je vais mettre un pantalon, puis je décide d'aller m'allonger. Il n'y a plus de place sur les coussins de l'espace chill-out, où sont étendus tous ceux qui n'ont pas retrouvé leur tente. Je compte les heures en attendant que les effets de la drogue se dissipent et que je puisse enfin me sentir un peu mieux et essayer de dormir. André fait de même. Vers cinq heures, le soleil se lève, moi aussi, sous les exclamations. De jour, tout est plus facile.

Le lendemain matin, je me dirige vers le stand de nourriture, à la recherche de toasts, de fromage frit, ou même de tofu grillé, mais ils n'ont plus rien à part de la truite et de la slivovice. Je me sens presque tchèque, jusqu'à ce que le serveur me demande en anglais si je suis polonaise. Je me contente de sourire en découpant la truite.

2 commentaires:

Anonyme a dit…
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