J’ai l’esprit largement occupé à révolutionner la science
mais pas que. Un autre problème me
taraude en cette troisième tranche de septembre : l’invasion de ma chambre
par des Bêtes. Evidemment, c’est l’un des inconvénients de vivre à la campagne.
On a les mouettes, le grand air, le Leclerc du samedi matin, mais il y a aussi
des beïtes. Ca, Laetitia ne m’en avait pas parlé, décidant probablement dans l’ombre
avec un rictus intérieur pervers que je découvrirais bien la vie par moi-même.
Chaque soir à la nuit tombée, je scrute de mon oreille alerte, et de mon œil un
peu moins alerte. Ils commencent à virevolter devant mon écran, malgré le
diffuseur anti-moustiques presque vide (ça peut mettre le feu à la maison ?)
que j’ai pris soin de brancher. Saloperie de diffuseur 100% naturel. Apres réflexion quant à l’arme du crime
(serviette ? magazine ? carte top 25 de Quiberon ? paquet de
copies ?) j’opte pour la serviette, qui a l’avantage de rabattre le
cadavre de la victime vers le sol au lieu de l’aplatir grossièrement sur le
mur. Malheureusement, le moustique est
souvent plus rapide que moi. On croit l’avoir, car il disparaît, mais en fait
non. Règle numéro 1 : chercher le cadavre. J’arpente les rainures du
parquet à quatre pattes mais je ne vois rien (enfin, si, je vois beaucoup de
choses que j’aurais préféré ne pas voir, mais pas de cadavre de moustique), et
pendant ce temps, il est sûrement déjà en train de me piquer les fesses.
Finalement, je décide de renoncer et d’aller me coucher sur
ma mezzanine. J’adopte la technique de la chèvre : allumer ma petite lampe
en haut pour attirer les beïtes et ainsi mieux les tuer. Sauf que, dans mon
monde merveilleux, il n’y a que les moustiques que je tue, et c’est justement
ceux que je n’arrive pas à avoir. Quelle ironie. Je lis tranquillement quand
soudain, tout à coup (et c’est là où on se rend compte que la chèvre se fait
souvent bouffer), un éclair sombre passe subrepticement sur ma droite. Je
bondis (« jaillis » serait un mot plus exact) hors de la couette pour
chercher mes lunettes, que je manque de faire tomber à l’occasion, et là j’aperçois
l’Horreur : une monstrueuse araignée velue, oui, velue, tranquillement à
dix centimètres de mon oreille. « Et qui sait ce qui se passe une fois la
lumière éteinte ». Malheur, car ça, les araignées, je ne tue pas. C’est
contre ma philosophie de vie (« aimons-nous les uns les autres, sauf les
moustiques qui cherchent la merde »), et puis aussi, c’est trop gros. Je
commence par essayer de lui parler, tout en saisissant un prospectus ikea, pour
la faire délicatement monter dessus. Mon plan initial est donc, plutôt que de
faire une bouillie immonde d’araignée velue sur mon lieu de repos et d’innocence,
de la balancer par-dessus la mezzanine avec le catalogue Ikea et « elle
trouvera bien le chemin de la sortie toute seule ». Puis je réfléchis que
le matin, quand je chercherai, mal endormie et peu réveillée, une paire de
chaussette pour aller me faire griller des toasts, savoir qu’une araignée
énorme immonde et velue et sûrement pleine d’œufs d’araignée m’attend tapie
dans le tas de vêtements disposé sous la mezzanine (mais très bien organisé par
strates chronologiques), ça ne sera pas cool. Je décide donc plutôt d’essayer
de pousser madame le long du mur jusqu’à une « safe zone » aussi bien
pour elle que pour moi, mais elle renâcle et se blottit dans le coin du plafond
pile au-dessus de mon oreille gauche. Elle ne bouge pas, je ne bouge pas. Je
commence à l’insulter. Aux moustiques je dis « mais putain sale pute
laisse-moi te tuer tranquillement » mais elle, elle sentirait le
tressaillement dans ma voix. Et là, elle se dirige tranquillement vers mon lit.
Trop c’est trop, je panique, et je saisis Psychologies Magazine (j'ai hésité quelques centièmes de seconde avec
Windsurf Magazine). Je frappe un coup sec. Ca
y est, c’est fini. Son estomac gît sur le mur, et son corps recroquevillé est
tombé, transparent et cadavérique, à quelques centimètres de mon oreiller. C’est
répugnant. Je prends un vieux mouchoir pour essuyer l’estomac et camoufler le
corps. Qui remue encore. J’appuie bien, je me dis qu’autant passer la barrière
et tuer, autant le faire à fond. Affaire close. Trois minutes après, je me dis
que ça serait peut-être une bonne idée de descendre jeter le mouchoir avant
que, dans le noir à tâtons, je me mouche dedans. Je descends et je le jette.
Bon, cette fois, c’est bon « on est tranquille ». Le moustique
revient à l’attaque et je lui dis toi sale pute tu vas prendre cher, et je l’explose
entre mes deux mains, tac, un crime parfait, le cadavre qui tombe tout propre
sans coller ni rien. Super jouissif. Prête à affronter le noir, j’éteins, et me
recroqueville. Je fais moins la maligne. Je mets mes boules quiès pour ne rien
entendre, et je pense à Elena et Baptiste qui entendait des choses calvacader
dans le mur à Ste-V., et du film qu’on en ferait (« La nuit des fouines »)
et de son sequel (« L’aube des fouines ») puis de son prequel («
Le crépuscule des fouines »). Parfois, j'écoute le silence pendant de longues minutes, hyper concentrée, croyant entendre des bourdonnements de moustiques, ou des bruits d'araignées velues qui tissent leur toile dans mes chaussures, mais en fait c'est juste la chasse d'eau. Tout cela est épuisant.