mardi 10 janvier 2012

Pour ceux qui ne lisent pas, mais qui dévorent

Il y a des gens qui écrivent comme ils mangent. Avec parcimonie et propreté, page après page sans les corner ni les plier. Un petit peu chaque jour, point trop n'en faut. D'autres qui ne résistent pas aux lumières de romans calibrés pour la consommation de masse, au goût suave et sucré vite oublié qui plaira au plus grand nombre. Parfois, ceux-ci s'efforcent de varier leur régime en achetant un livre jugé plus sérieux, qui restera de longs mois sur la table de nuit, inviolé et témoin silencieux de plaisirs moins avouables, tel la conserve de haricots verts cachant à peine le pot de Nutella aux trois-quart terminé. La plupart des lecteurs commencent par l'entrée et finissent par le café. Ils prennent plaisir à progresser peu à peu, sur un chemin plus ou moins délectable, vers l'apothéose et la conclusion du récit. Certains, écoeurés, jettent l'éponge au plat de résistance et choisissent d'écourter une expérience au goût fade ou au contraire trop appuyé qui contrarie leurs papilles expertes. D'autres enfin, les plus indisciplinés, ne peuvent s'empêcher de voir le récit qui s'offre à eux comme un vaste buffet où s'expose un assemblage subtil de mets variés et délectables. Ils ne voient alors plus comment ils pourraient se satisfaire d'un dîner interminable où la surprise est proche de l'ennui, alors qu'ils peuvent picorer un petit four par-ci, un macaron par là, un bout d'intrigue à droite, un dialogue à gauche. La succession attendue et naturelle des pages , n'a que peu d'intérêt aux yeux de ce lecteur gourmand, qui dévore le livre par le milieu en laissant des miettes un peu partout, sans se préoccuper de l'ordre convenu et de l'assemblage des saveurs savamment pensé. Il se fond dans l'intrigue, l'absorbe, l'engloutit dans tous les sens et la réinvente à sa sauce. Une fois repu, sa boulimie satisfaite, il peut revenir sur les quelques miettes et taches de récit laissées ici ou là, par gourmandise ou amour de l'ordre. Ce lecteur-là ne paraît pas des plus exigeants. Cependant, seul un festin subtil de goûts, de formes, de couleurs, de textures, pourra exciter suffisamment son appétit et combler un vide qu'il porte en lui. Un vide d'histoires nouvelles dont il ne se repaît que provisoirement, un vide jamais rassasié. Une faim vitale de connaissances, de perceptions et d'émotions qui le dévore lui-même de l'intérieur mais sans laquelle il ne peut vivre.